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  • Photo du rédacteurAlain SUPPINI

LE SUCRE PLUS ADDICTIF QUE LA COCAÏNE? VRAIMENT?

UNE QUESTION QUI DIVISE LES SCIENTIFIQUES DEPUIS PLUSIEURS DÉCENNIES.

Il est devenu habituel depuis quelques années, d'entendre ou de lire que le sucre est LA drogue moderne à laquelle nous deviendrions addicts par une consommation quotidienne devenue obligatoire. Mais comparer le sucre à de la drogue fait toujours débat dans la sphère scientifique, et donc dans les conversations quotidiennes. Peut-on assimiler la consommation de sucre et l'addiction à la cocaïne? Voici quelques éléments de réponse.


Le sucre serait plus addictif que la cocaïne: voilà bien une notion qui divise la communauté scientifique depuis de nombreuses années.

De fait, cette question est évoquée dans une méta-analyse publiée par 3 chercheurs nord-américains, dans le British Journal of Sports Medicine [1] en 2017.

Dans cette publication, plus d'une soixantaine d'études ont été analysées, et les chercheurs ont conclu que "la consommation de sucre produit des effets similaires à la consommation de cocaïne, en particulier sur l'humeur en induisant une activation des circuits de récompense du cerveau, conduisant à rechercher toujours plus de sucre".

Pour tenter de démontrer que le sucre serait plus addictif que la cocaïne, ils citent de nombreux travaux effectués chez les rats, comme par exemple cette étude [2] publiée en 2008 pour sa version finale, et dans laquelle les auteurs montrent que le sucre induit la libération d'opioïdes et de dopamine cérébraux caractérisant habituellement l'état de dépendance.

Également, une longue série d'expériences réalisée par une équipe de l'Université de Bordeaux [3] tendrait à prouver que le sucre a bien un pouvoir plus addictif que la cocaïne: sur 100 rats testés, 94 ont préféré une boisson sucrée à des doses croissantes de cocaïne.

Pour Serge Ahmed ayant participé à l'étude, l'addiction au sucre est incontestable. Il estime même que les scientifiques remettant en cause cette addiction sont "au mieux incompétents, au pire financés par les industriels du sucre" [4].

Faisant également référence à ces travaux, le professeur Dinicolantonio, membre de l'équipe ayant publié dans le British Journal of Sports Medicine [1], déclare: "chez les rongeurs, le sucre est plus addictif que la cocaïne, donc le sucre est probablement la substance addictive la plus consommée au monde, et cela fait des ravages sur notre santé".


Pourtant, ces conclusions sont loin d'être partagées par l'ensemble de la communauté scientifique.


En effet, comme l'indiquent les membres d'une équipe du CHU de Tours dans un article [5] paru en 2016, l'addiction alimentaire reste un sujet très discuté: "parler d'addiction consiste à objectiver clairement une impossibilité à contrôler un comportement malgré la connaissance de ses conséquences négatives".

"S'il est désormais bien démontré qu'il est possible de développer une addiction vis-à-vis de certaines substances comme l'alcool, le tabac ou le cannabis, de même qu'une addiction aux jeux de hasard et d'argent, la possibilité de développer une addiction vis-à-vis d'autres sources de plaisir (alimentation, sexe, ou encore achats) est encore débattue".


S'il existe un consensus scientifique sur les dangers liés à la surconsommation de sucre (obésité, diabète, caries dentaires, etc.), les positions divergent donc lorsque l'on parle de dépendance et encore plus lorsque l'on compare celle-ci à l'addiction aux drogues dures.


Le professeur Ziauddeen du département de Psychiatrie de l'Université de Cambridge, publie en 2016 avec son équipe une méta-analyse [6] dans laquelle il conteste le fait que le sucre induise une addiction au même titre que l'alcool ou la cocaïne: revenant sur l'étude menée par l'équipe de Bordeaux [3], il nuance leurs conclusions: "ce que ces études montrent, c'est que l'addiction apparaît quand ces animaux ont accès au sucre uniquement deux heures par jour. Si vous les autorisez à en avoir à tout instant alors ils ne montrent pas de signe de dépendance".

Il explique également "qu'il est normal que les rats préfèrent le sucre à la cocaïne, puisqu'il est plus inné pour eux de rechercher des aliments sucrés dans la nature que de la drogue".

"Il est aussi important de souligner que ces expériences donnent des résultats similaires lorsque le sucre est remplacé par de la saccharine, un substitut du sucre, ce qui semble indiquer les rats seraient plus attirés par le goût sucré que par le sucre en lui-même. De même, les rongeurs ne vont pas réclamer de sucre si on associe sa consommation à un stimulus négatif, comme un choc électrique, ce qui ne se vérifie pas avec la cocaïne. L’addiction à la cocaïne serait donc en réalité plus puissante que l’addiction au sucre puisque l’envie de consommer la drogue surpasse la peur du stimulus négatif".

De même, pour Jean Zwiller [7], neurobiologiste à l'Université de Strasbourg et spécialiste des drogues, la comparaison de celles-ci avec le sucre est absurde: "lorsque quelqu'un me dit je suis addict au chocolat, je réponds que l'addiction au crack ou à la cocaïne pousse à voler et à se prostituer, ce qui loin d'être le cas en ce qui concerne le chocolat"


Alors, pourquoi ce débat existe-t-il depuis tant d'années au sein de la communauté scientifique?

Eh bien! Tout ceci découle de ce que nous appelons "le circuit de la récompense"!

Le circuit de la récompense a été découvert en 1954 [8] par James Olds, psychologue et neuroscientifique américain, et Peter Milner, neuroscientifique canadien. Les deux chercheurs ont implanté chez des rats des électrodes dans une région très spécifique du cerveau, le noyau accumbens. L’activation du circuit de la récompense aboutit à la libération finale de dopamine, le neurotransmetteur du plaisir, qui aide à son tour à mémoriser le stimulus qui a été agréable. C’est ce qui nous amène à répéter un comportement nous procurant du plaisir. On parle de "renforcement positif".

En appuyant sur une petite pédale, le rat pouvait stimuler lui-même ce noyau cérébral. Les résultats ont été sans appel: le rat s'auto-stimulait sans arrêt, cessant même de s'alimenter. La stimulation directe de ce circuit était tellement puissante qu’elle prenait le pas sur les besoins fondamentaux de l'animal. C’est sur ce principe que fonctionnent les drogues (tabac, alcool, cocaïne, ou encore opioïdes), de même que les jeux de hasard ou d'argent [9]. Dans un premier temps, ces activités procurent du plaisir, puis les circuits de mémoire-apprentissage et de récompense vont se désynchroniser [10], aboutissant à une perte de la motivation et du contrôle, et à l'opposé une recherche de la récompense immédiate sans contrepartie.

Toute la controverse part donc de la constatation que le sucre et les drogues ont la même finalité, qui est de produire une sensation de plaisir nous poussant à réitérer l'expérience.


Mais alors, qui détient la vérité: comme souvent en sciences humaines, tout le monde et personne!

Le professeur Tom Sanders [11], professeur émérite de nutrition et de diététique au King's College de Londres, a une position intermédiaire: il estime que s'il existe bien une possibilité de développer une certaine habitude aux sucreries, il n'existe pas comme pour les drogues de symptômes de manque lorsque l'on arrête brusquement la consommation de sucre.


Pour terminer, je citerai le professeur Robert Lustig [12], endocrinologue pédiatrique américain à l'Université de Californie, à qui l'on posait récemment la question suivante: peut-on réellement accéder au bonheur sans plaisirs intenses, comme l’alcool, le sexe, les jeux vidéos, le sport, la musique, le sucre, ou tout autre expédient, autrement dit sans excitation régulière des circuits de dopamine?

RL: "Nos ancêtres savaient faire la différence entre plaisir et bonheur".

"Que l’on soit bien d’accord: la dopamine est nécessaire à la survie des espèces. Elle est l’élément qui vous fait vous lever le matin, qui vous motive à aller travailler. Mais la dopamine est aussi l’élément moteur de tous ces aliments industriels, fast-foods et produits sucrés qui sont vendus à des fins purement mercantiles, qui nuisent à la santé des individus et qui sont donc nuisibles à leur bonheur sur le long terme."

"La grande oubliée de ces questions relatives au plaisir et au bonheur, c’est la sérotonine. À la différence de la dopamine, elle n’excite pas les neurones, mais les met au repos. Les récepteurs n’ont pas besoin de réguler les flux de sérotonine, qui ne tuent pas les cellules neuronales. Une overdose de bonheur, ou de bien-être, véhiculé par la sérotonine, est donc possible. Le seul problème ici est le moment où la dopamine intervient, et régule la sérotonine: plus vous cherchez à reproduire un bonheur passé, plus les niveaux de dopamine sont élevés. Et plus vous cherchez ce plaisir perdu, plus vous devenez malheureux, à plus forte raison si des éléments comme le stress physique ou émotionnel, un traumatisme d’enfance, une fatigue générale, inhibent les récepteurs de sérotonine."


Au bout du compte, il redevient donc vital de faire cette distinction entre dopamine et sérotonine [13], entre plaisir et bonheur, entre consommation et contemplation, dans un monde où plus rien n’est laissé au hasard.




Alain SUPPINI


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