LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES

J'AI ADORÉ LE LIVRE, J'AI AIMÉ LE FILM.

En tant que lecteur qui se trouve souvent déçu par les adaptations cinématographiques, je dirai que "Là où chantent les écrevisses" fait partie des rares films qui restent assez proches du livre, même s'il présente quelques différences non négligeables par rapport au roman.

Le synopsis:

Kya, une petite fille abandonnée, a grandi seule dans les dangereux marécages de Caroline du Nord. Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur la “ Fille des Marais “ de Barkley Cove, isolant encore davantage la sensible et résiliente Kya de la communauté. Sa rencontre avec deux jeunes hommes de la ville ouvre à Kya un monde nouveau et effrayant. Mais lorsque l’un d’eux est retrouvé mort, toute la communauté la considère immédiatement comme la principale suspecte. À mesure que la vérité sur les événements dessine, les réponses menacent de révéler les nombreux secrets enfouis dans les marécages.

Le roman:

Le premier de Delia Owens, zoologue et écrivaine, il est un hymne à la nature sauvage de ces régions de marais, parlant de liberté, de résilience et de survie, de force intérieure, mais aussi d’aliénation.

J’ai adoré la partie sur l’enfance de Kya, l’histoire unique de cette petite fille abandonnée qui apprend à naviguer seule dans les marais, puis dans monde. L’histoire se concentre beaucoup sur son statut de paria et son sentiment d’abandon, car elle est forcée de se débrouiller seule. Le rythme est soutenu, le mouvement permanent.

L’histoire de Kya contient des éléments de romance, de mystère et même un intermède de thriller dans la salle d’audience.

Les passionnés de la nature apprécieront également ce livre, car l’amour de Kya pour tout ce qui l’entoure est véhiculé à travers des descriptions détaillées de la flore et de la faune, reflet de l’expérience de l’auteur en tant qu’ancienne scientifique de la faune.

L’imagerie est très descriptive aux bons endroits et clairsemée lorsqu’elle sert mieux l’histoire à la place. Le livre a un fort sentiment d’appartenance, vous transportant dans une vie différente où l’on peut sentir l’air salé et plonger les pieds dans le sol boueux, à l’écart du village balnéaire de Barkley Cove.

Pendant ce temps, la découverte du cadavre de Chase Andrews, fils d’une famille aisée de la bourgade, assure le suspense de l’histoire.

L’histoire de Kya est également entrecoupée de retours en arrière, au gré des détails de l’enquête. L’ajout de cet élément de mystère fonctionne bien, car on ne sait pas ce qui s’est exactement passé cette nuit-là et comment cela se passera pour Kya. Le rythme de l’enquête est parfait, ce qui rend la lecture agréable et pleine de suspense.

J’ai adoré lorsque Kya entre dans son adolescence, que les intrigues romantiques commencent à faire leur apparition et que le mélodrame commence à s’intensifier. L’idée qu’un adolescent lui apprenne non seulement à lire, mais aussi à parler de ses menstruations, ajoute à l’immersion dans la vie si particulière de cette petite fille qui devient grande.

Enfin, le voyage intérieur de Kya, le traitement mental des événements de sa vie, est particulièrement émouvant: elle souffre d’être abandonnée par les personnes qui lui sont le plus cher, et trouve dans la nature des parallèles particulièrement pertinents.

L’histoire m’a facilement conquis. Alors que la date du jugement approche et que l’enquête s’accélère, j’étais totalement absorbé. J’ai lu ce livre avec beaucoup d’émotion du début à la fin. Un de ces romans pour lequel il faut ensuite se laisser du temps pour en débuter un autre.

Le film:

En tant que lecteur qui se trouve souvent déçu par les adaptations cinématographiques, je dirai que “Là où chantent les écrevisses” fait partie des rares films qui restent assez proches du livre, même s’il présente quelques différences non négligeables par rapport au roman.

Dès le début, on est déconcerté par le fait que le film commence avec Kya poursuivie par la police peu de temps après la découverte du cadavre de Chase Andrews. Dans le livre, Kya n’est emmenée par les enquêteurs qu’à la seconde moitié de l’histoire: ici l’histoire tourne autour d’une paire de policiers et ce n’est qu’au fil de l’enquête que sont dévoilés de manière saucissonnée les chapitres de la vie de Kya. Elle est la narratrice du scénario du film, alors que le livre a été raconté à la 3è personne.

Jumping, qui tient avec sa femme Mabel un magasin de la petite station balnéaire joue un rôle clé dans le film, autant que dans le livre: ils développent tous 2 avec Kya une relation bienveillante, ils la surveillent, lui achètent les moules qu’elle pêche chaque matin pour qu’elle puisse survivre, ou encore l’encouragent à aller à l’école. Alors que Kya mène une vie solitaire dans le marais, ils deviennent presque une famille pour elle. Ceci est globalement fidèle au livre, sauf que le film néglige les grandes discussions du livre sur le fait qu’il s’agit d’un couple de Noirs, dans les états du sud de l’Amérique des années 1960. Nombre de scènes qui traitent du racisme auquel Jumping est confronté sont totalement lissées, pour ne pas dire écartées, dans le film.

L’écart d’âge de Kya avec Tate est également curieux: le film a bien sûr peu de temps pour parcourir beaucoup de chemin, de l’enfance de Kya à l’âge adulte et bien qu’il indique en quelle année il se déroule, l’âge de Kya lorsqu’elle rencontre et commence à avoir une relation amoureuse avec Tate n’est pas clair pour le public. Il semble que cela soit ignoré délibérément, car dans le livre, Kya a 14 ans et Tate a 18 ans lorsque leurs premiers échanges subtils de plumes d’oiseaux ont lieu. Dans le roman où ils ont presque fait l’amour, Kya a 15 ans; dans le film, Daisy Edgar-Jones n’a certainement pas l’air d’avoir 15 ans pendant ces scènes.

Autre différence qui a son importance, dans le film comme dans le livre, Tate incite Kya à envoyer ses dessins à un éditeur. Dans le film, cela se produit lorsque Kya et Tate sont ensemble pour la première fois, avant qu’il ne parte pour l’université, puis disparaisse de sa vie. Dans le livre, cela se produit 5 ans plus tard, alors que Kya est avec Chase. Au final, le livre donne à Tate plus de crédit pour être quelqu’un qui se soucie vraiment de Kya, peu importe avec qui elle est et peut-être que c’est cette gentillesse authentique qui fera que Kya revienne un jour vers lui.

Mais la différence majeure réside dans le fait que tout au long du livre, Kya observe constamment comment les animaux s’accouplent et interagissent les uns avec les autres dans la nature, en l’appliquant ensuite à elle-même, lors de la prise de chacune des décisions de sa vie. Dans le film, s’il est clair qu’elle passe beaucoup de temps dans la nature et apprend des animaux, ce comportement est totalement escamoté.

Au final, on pouvait s’attendre mieux d’un film produit par Reese Witherspoon et pour le quel Taylor Swift dévoile sa nouvelle chanson “Carolina”.

On retient surtout l’interprétation de Daisy Edgar-Jones, toute jeune actrice éblouissante de “Normal People”. Brillante dans la peau de cette jeune fille discrète mais sûre d’elle, l’actrice britannique est parfaite dans le rôle.

On adore également les paysages magnifiques offerts par bayous de Louisiane où le film est tourné, ainsi que les dessins naturalistes des faunes et flores totalement bluffants.

En conclusion, j’ai bien aimé le film, le temps passe vite, le spectacle y est majestueux. Mais, sans que cela dénature le roman, il passe tout de même beaucoup trop rapidement sur bon nombre d’éléments qui laisseront peut-être le cinéphile sur sa faim. Un magnifique roman qui aurait mérité plus qu’un film, probablement, suivant la grande mode actuelle, une mini-série.

Alain SUPPINI