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Photo du rédacteurAlain SUPPINI

DYSPRAXIE: QUEL EST CE TROUBLE NEUROLOGIQUE DE L'ENFANT TELLEMENT MÉCONNU?

UN RÔLE CENTRAL POUR LE PSYCHOMOTRICIEN.

Les troubles du développement neurologique les plus courants, tels que la dyslexie, l'autisme, le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH), ont fait depuis de nombreuses années l'objet d'études de neuro-imagerie très abondantes, ayant le plus souvent conduit à l'identification de régions du cerveau spécifiquement corrélées à ces affections: on parle même aujourd'hui d'une véritable "signature neuronale" de celles-ci.

Par contre, le Trouble Développemental de la Coordination (TDC), ou dyspraxie, reste l’une des affections du développement neurologique les moins comprises et les moins étudiées.


La dyspraxie (dys, difficulté - praxie, mouvement) est un trouble de l'apprentissage de l'enfant qui débouche sur une perturbation des capacités à effectuer certaines activités et certains gestes volontaires. Ce trouble résulte lui-même d’un dysfonctionnement de la zone cérébrale qui commande la motricité. C'est la raison pour laquelle elle est également connue sous le terme de "Trouble développemental de la coordination (TDC)". Par contre, la dyspraxie n'est pas une affection d'origine musculaire, les muscles de l'enfant fonctionnant normalement. Enfin, elle n'est pas non plus un trouble d'ordre intellectuel.


Quelle est la fréquence de ce trouble?


La dyspraxie est un trouble très répandu, puisqu'il concerne 5 à 7% des enfants de 5 à 11 ans [1]. Il s'agit d'un trouble hétérogène avec des phénotypes différents, touchant 2 à 4 fois plus les garçons que les filles.

Les prématurés sont une population particulièrement concernée, puisque le pourcentage des troubles sévères de la coordination doublent chez les enfants nés entre 33 et 34 semaines d'aménorrhées (SA), quadruple chez ceux nés avant 33 SA et touche 1 prématuré de moins de 29 SA sur 5 [2].


Dyspraxie: de quoi parle-t-on?


Elle se caractérise par un déficit moteur persistant qui va affecter négativement les activités de la vie quotidienne, ainsi que la réussite scolaire.

Les performances des enfants atteints de TDC sont plus lentes et moins précises que celles des autres enfants: on parle d'élève lent, maladroit et peu habile. De manière assez caractéristique, on retrouve un mauvais contrôle distal (difficulté à attraper un objet ou à taper dans un ballon) et une mauvaise coordination des mains (difficulté à écrire), ainsi qu'une altération de l'équilibre. Ce sont des enfants qui vont présenter des problèmes pour s'habiller, écrire, utiliser des ustensiles, courir, attraper des balles, ou encore faire du sport, et de manière dramatique, vont être totalement conscients de ces difficultés.

La dyspraxie du prématuré, quant à elle, est une dyspraxie avant tout "visuo-spatiale" [3]: ces troubles vont se traduire par une incapacité à s’organiser dans l’espace-feuille (mauvaise mise en page, cahiers sales, brouillons, etc.), mais aussi par un échec à toutes les activités très chargées en facteur spatial, telles que les tableaux à double entrée, la géométrie, le dessin, certaines activités manuelles, ou encore la géographie.


Comment est fait le diagnostic?


Le diagnostic du TDC est fondé sur 4 critères selon la 5è édition du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-5-TR) [4]:

- une déficience marquée de la capacité à acquérir des aptitudes motrices adaptées à l'âge (critère 1)

- une conséquence directe sur les activités de la vie quotidienne, les loisirs et les résultats scolaires (critère 2)

- une absence de déficience intellectuelle ou visuelle associée (critère 3)

- et une absence d'état neurologique pouvant affecter le mouvement (critère 4)


Au plan neurologique, une des méta-analyses les plus récentes du TDC menée en 2022 par une équipe australienne [5] a identifié un certain nombre de perturbations des systèmes pariéto-frontal et pariéto-cérébelleux, mais aujourd'hui encore, aucune véritable "signature neuronale" n'a pu être mise en évidence, comme c'est le cas pour d'autres troubles neurologiques.


Quelles sont les conséquences de la dyspraxie chez les enfants?


Dès leur plus jeune âge, les personnes atteintes de TDC éprouvent déjà des difficultés à effectuer les activités de base d'auto-entretien: dans une enquête qualitative [6] impliquant des enfants âgés de 5 à 7 ans, les auteurs ont montré qu'ils avaient du mal à accomplir des activités quotidiennes simples telles que manger, s'habiller, ou maintenir leur hygiène corporelle. Dans le détail, les parents ont signalé les raisons expliquant les difficultés de leurs enfants à s'habiller: en premier lieu la procrastination [7], ensuite les problèmes d'orientation spatiale des vêtements, la manipulation d'objets, l'incapacité d'utiliser la motricité fine pour boutonner les chemises, enfin une difficulté au maintien de l'équilibre pour enfiler un pantalon. De tous les vêtements, les enfants ont indiqué que les chaussettes étaient les pièces les plus difficiles à enfiler. Pour éviter le fardeau de l'habillage, certains enfants plus âgés (8 à 9 ans) ont même décidé de continuer à porter leur manteau à l'intérieur et de ne pas avoir à l'enlever. D’autres ont décidé de porter la tenue la veille de l’école pour éviter d'avoir à s’habiller le lendemain matin. En ce qui concerne l'hygiène corporelle, la plupart des enfants comptaient sur l'aide de leurs parents pour se coiffer, prendre une douche, se sécher, ainsi que se couper les ongles.

Bien sûr, les défis auxquels sont confrontés ces enfants ne s'arrêtent pas à la maison, mais s'étendent à la cour de récréation ou la salle de classe, dans lesquelles existe généralement un manque total de sensibilisation à ce type de trouble et aux défis qu'il présente. Leurs performances sont entravées dès qu'ils essaient d'écrire, d'utiliser des ciseaux, de peindre, de manipuler des objets, de donner des coups de pied, d'attraper et de lancer un ballon, ou encore de courir dans une aire de jeux.

Parallèlement, apparaissent les conséquences sociales et émotionnelles: ces enfants sont de plus en plus isolés et victimes d'intimidations.

Finalement, l'expérience répétée d'une inadéquation entre les capacités motrices et les exigences des tâches à accomplir va rapidement exposer ces enfants à d'autres risques encore plus grands: dépression, anxiété, ou encore auto-dévalorisation, auto-isolement... bref, c'est un véritable cercle vicieux mortifère qui s'installe, et ses conséquences se prolongeront jusqu'à l'âge adulte.


Donc, nous avons ici affaire à l'une des maladies neurologiques les plus fréquentes de l'enfant, parfaitement méconnue du grand public, et même de nombreux professionnels de santé! Pourquoi?


À cela, 5 grandes raisons:

- d'abord un manque de sensibilisation: contrairement à d'autres troubles comme l'autisme ou la dyslexie, la dyspraxie n'a pas bénéficié d'autant de campagnes de sensibilisation ou de couverture médiatique. Par conséquent, le grand public est moins informé à son sujet.

- ensuite, une complexité diagnostique: la dyspraxie est difficile à diagnostiquer car elle ne se manifeste pas de la même manière chez tous les individus. Elle affecte la coordination motrice, ce qui peut avoir des répercussions sur plusieurs aspects de la vie quotidienne, mais il n'y a pas de test clinique unique ou d'examen complémentaire qui puisse confirmer le TDC à 100%.

- également, une grande variabilité des symptômes: les signes de la dyspraxie peuvent varier considérablement d'un enfant à l'autre. Certains enfants peuvent avoir des difficultés avec des tâches motrices fines, tandis que d'autres peuvent avoir des problèmes avec des mouvements plus grossiers ou la planification des actions. Cette variabilité rend le trouble moins évident pour les personnes non spécialisées.

- quatrièmement, une méconnaissance parmi les professionnels: même parmi les professionnels de la santé et de l'éducation, il y a parfois un manque de formation ou de compréhension concernant la dyspraxie. Cela peut entraîner des diagnostics erronés ou un manque d'identification précoce.

- enfin, une stigmatisation et une incompréhension vis-à-vis du trouble: les enfants atteints de dyspraxie peuvent être perçus comme maladroits ou peu compétents, ce qui peut conduire à des malentendus. Cette stigmatisation peut contribuer à cacher le trouble plutôt qu'à le mettre en lumière.


Alors, qui s’intéresse particulièrement à la dyspraxie?


Plusieurs spécialités paramédicales vont jouer un rôle clé dans l'évaluation, le traitement et le soutien des enfants atteints de ce trouble:

- l'ergothérapie: les ergothérapeutes les aident à développer leurs compétences motrices et leur coordination, en recommandant notamment des adaptations pour faciliter leur vie quotidienne.

- la kinésithérapie: les kinésithérapeutes aident à renforcer les muscles, à améliorer la coordination et à développer des schémas de mouvement plus efficaces.

- l’orthophonie: les orthophonistes travaillent avec des enfants qui ont des difficultés de communication. Comme le TDC peut affecter la coordination nécessaire pour parler, ces spécialistes peuvent améliorer la clarté de la parole et la coordination des muscles utilisés pour parler.

- la neuropsychologie: les neuropsychologues peuvent être impliqués dans le diagnostic de la dyspraxie en utilisant des tests cognitifs et des évaluations visant à déterminer l'étendue des difficultés motrices et planifier les interventions appropriées.


Il est évident que tous ces professionnels travaillent de concert pour offrir un plan d'intervention complet et adapté aux besoins spécifiques de chaque enfant.

Mais s'il est une spécialité paramédicale capable de prendre en charge la dyspraxie dans toute sa globalité, du diagnostic au traitement en passant par l'évaluation de l'étendue des atteintes motrices, c'est bien la psychomotricité. Attardons-nous par conséquent sur cette spécialité encore méconnue.


Pour un psychomotricien, quels sont les signes de la dyspraxie?


Il va particulièrement s'intéresser aux déficits des fonctions motrices et de leur impact sur l'écriture manuscrite.


Le déficit de la motricité fine représente un obstacle important à l'intégration des tâches de la vie quotidienne. Le psychomotricien va donc particulièrement rechercher des difficultés à utiliser des couverts, manier un outil, découper, dessiner, écrire, jouer d’un instrument, attraper une balle, ou encore à faire ses lacets.

L’écriture manuscrite, quant à elle, est présente dans près de 60% des activité scolaires des enfants.

Il faut rester prudent sur le diagnostic de dysgraphie qui marque définitivement un trouble, alors que pour certains enfants il s’agit simplement d’un retard de maturation du geste ou d’un trouble psychologique qui retentit sur le geste.

Les atteintes de l'écriture manuscrite vont être recherchées non seulement sur le "produit final" (lisibilité, erreurs) mais également dans le processus d’écriture lui-même: écriture lente, peu lisible, moins fluide, moins régulière, lettres irrégulières, déformées, agencement désordonné des lettres et des mots dans l’espace de la feuille, difficultés à suivre les lignes, à respecter les mêmes hauteurs des lettres, leurs positions, ou encore leur taille, qui est souvent excessive. D'autre part, plus les contraintes de taille ou de vitesse sont grandes, plus l'écriture est altérée.


Pour un psychomotricien, quelle est la prise en charge de l’enfant présentant une dyspraxie?


Tout d'abord, il sera essentiel de s’appuyer sur les points forts des enfants, afin de leur permettre de mieux comprendre leurs difficultés. Cela débouche sur la mise en place de ce que l'on nomme un "projet psychomoteur" simple, imagé et facilement compréhensible par l’enfant. Psychomotricien, enfant et parents définissent des objectifs communs, mais c'est bien l’enfant qui est au centre de son projet et par là même acteur de ses progrès. Le psychomotricien guide les parents au fil des séances afin qu’ils adaptent leur comportement et leur environnement. Le plus important est de laisser du temps à l’enfant et d’encourager ses réussites. En effet, les enfants dyspraxiques n’ont pas un apprentissage classique ni linéaire: ils vont prendre du temps sur certains aspects des apprentissages et être beaucoup plus performants sur d’autres, et des choses semblant comprises un jour ne le seront peut-être pas le lendemain, il faudra donc y revenir. C'est d'ailleurs souvent ce besoin de répétition qui déroute le plus les parents.

On le voit, pour le psychomotricien, les parents sont un élément majeur dans l'accompagnement de l'enfant. On va donc les inciter à afficher beaucoup de patience, même dans les cas - fréquents - où l’école baisse les bras.


Le rôle du psychomotricien est donc multiple: il accompagne l’enfant vers son autonomie quotidienne et scolaire, il soutient les parents, et il tente d’harmoniser le développement psychomoteur en proposant des exercices, des jeux et des situations adaptés à chacune des étapes de l'apprentissage. Souvent très intelligents, ces enfants possèdent en eux les outils de leur développement, mais ils ne savent pas quel outil utiliser en fonction du travail à accomplir. C'est au psychomotricien d'en faire la pédagogie.


"Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur sa capacité à grimper dans un arbre, il passera sa vie entière à croire qu’il est stupide" - Albert Einstein




Je tiens à remercier tout particulièrement Logane De Reuwe pour son aide très professionnelle, qui m'a permis d'écrire le chapitre concernant la psychomotricité.


Alain SUPPINI




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2 Comments


fleurbleuelune
fleurbleuelune
May 26

Très bel article Alain 👍 Moi qui suis dans le milieu du handicap, cet article est très parlant et explique bien toutes les spécificités. Il faut en prendre conscience. C’est bien complexe. Merci aussi à Logane ☺️😘😘


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Alain SUPPINI
Alain SUPPINI
May 26
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Merci beaucoup Fleurbleuelune 🙏

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