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  • Photo du rédacteurAlain SUPPINI

AMOUR OU DÉPENDANCE AFFECTIVE?

COMMENT SOIGNER LES CONSÉQUENCES DU MANQUE AFFECTIF?


L'amour est pour la toute première fois lié à la dépendance affective en 1975 par le psychologue américain Stanton Peele dans son livre "Love and addiction" [1].

Dans cet écrit, il explique que "la relation qui se caractérise par la présence rassurante de l'autre personne, dérive très vite vers une dépendance qui étourdit la conscience de la personne, la libérant de son anxiété et de sa douleur, à la façon d'un analgésique".

Le concept de dépendance affective vient de naître!

Un autre terme de "dépendance émotionnelle" est ensuite utilisé par Lori Rentzel en 1990 [2], lorsque l’obsession pour l’autre personne atteint un degré tel que l’individu ne se soucie plus de ses propres besoins, de ses propres priorités, voire de sa propre vie.

La dépendance affective se définit par un lien affectif permanent et excessif avec une autre personne, lien qui est associé à une faible estime de soi et qui masque des déficiences affectives. C'est un type de relation dans lequel prévaut le sentiment d'attachement et de subordination au partenaire, qui produit une série de conséquences émotionnelles négatives: symptômes anxio-dépressifs, pensées obsessionnelles, troubles du sommeil, relations partenaires déséquilibrées et abandon des relations sociales et de loisirs.

La dépendance affective implique une dépendance psychologique, qui se manifeste par une série de conduites addictives dans une relation où il existe une asymétrie des rôles, de sorte que des comportements disproportionnés et inadéquats sont déployés pour satisfaire le besoin d'affection.

Au final, la dépendance affective implique des émotions, des pensées, des motivations et des comportements uniquement orientés vers la recherche de la proximité de l'autre, toujours dans le même but d'atteindre des sentiments de satisfaction, de sécurité et de reconnaissance.

Elle s'accompagne très souvent de croyances déformées sur l'amour, les relations, la solitude, la séparation et le moi.

Plus pathologique encore, la dépendance affective est aussi très souvent retrouvée dans des situations telles que la toxicomanie, les troubles alimentaires et la maltraitance physique ou psychologique.

LES SYMPTÔMES DE LA DÉPENDANCE AFFECTIVE.


Certains signes et symptômes devraient nous alerter en tant qu'indicateurs d'une relation émotionnellement dépendante:


Le bien-être et les désirs du partenaire sont prioritaires.

La personne dépendante agit comme si les besoins, le confort et le plaisir de l'autre personne étaient au-dessus des siens, et ne s'amuse qu'à travers l'autre personne. Ses propres besoins sont mis en veilleuse et elle peut même en arriver à négliger ses obligations professionnelles ou familiales.


L'idéalisation de l'autre.


La personne dépendante surestime les qualités du partenaire et n'est pas capable de voir les aspects les plus négatifs. Elle suppose que son partenaire est merveilleux, parfait et ne se trompe jamais. En conséquence, il est en droit d'exiger un traitement privilégié par rapport aux autres.


La complaisance et l'évitement des conflits.


La personne souffrant de dépendance émotionnelle s'excuse souvent auprès de son partenaire lorsqu'il se met en colère même si elle sait qu'elle n'est pas responsable de la colère. Elle accepte de faire des choses désagréables ou inappropriées juste pour plaire à son partenaire, et considère les confrontations, les critiques ou son infidélité comme un moindre mal.


La détresse ou la peur exagérée de la séparation.


Les personnes émotionnellement dépendantes ressentent une immense tristesse face à la possibilité d'une rupture de la relation avec leur partenaire. Elles sont submergées par le besoin d'être constamment avec lui et une peur irrationnelle de l'abandon. Cette peur prend plus souvent la forme d'une angoisse permanente que l'autre mette fin à la relation.


Une faible estime de soi.


Les personnes dépendantes ont une faible satisfaction d'elles-mêmes, sont sujettes à une dévalorisation permanente, ont le sentiment de ne pas être à la hauteur de leur partenaire et imaginent en permanence que les relations antérieures du partenaire étaient plus exaltantes.


Les changements de comportement.


Chez les personnes dépendantes, il y a des changements notables dans leur façon d'être et d'agir lorsqu'elles sont en couple: elles vont modifier leurs routines, leurs goûts, jusqu'à inhiber et masquer des aspects fondamentaux de leur personnalité. Leur identité va ainsi se diluer au fur et à mesure qu'elles adoptent des positions de soumission, afin de toujours maintenir une proximité avec l'autre personne. Elles modifient également leurs habitudes de loisirs et tous les plans sont organisés avec le partenaire, le plus souvent selon ses propres goûts et désirs.


Les démonstrations continuelles d'affection.


Elles recherchent en permanence des signes d'affection et vérifient constamment que la relation se passe bien. Elles vont souffrir d'anxiété, puis d'angoisse si elles ne reçoivent pas l'attention qu'elles recherchent. C'est un élément fondamental qui impacte directement la relation, car ce besoin devient insatiable, et malgré les efforts du partenaire pour satisfaire ces demandes d'attention, ce besoin n'est jamais comblé. C'est ici qu’apparaît souvent une jalousie infondée, constante et exagérée, qui met encore plus à mal les liens du couple.


Les sentiments de culpabilité.


Ils vont apparaître chez la personne dépendante dès lors que le partenaire n'est pas satisfait ou simplement content, qu'elle estime n'avoir pas réussi à plaire au partenaire de façon permanente, ou bien après une dispute avec lui. Le déséquilibre est total, au point quelle se sent même coupable des raisons qui ont amené le différend. Les fautes ne sont jamais partagées: dans son esprit, elle a toujours tort.


Le contrôle de l'autre.


Les personnes dépendantes ont besoin de contrôler les éléments de la vie de leur partenaire: le téléphone portable, les messageries, les réseaux sociaux sont fouillés systématiquement: elles doivent savoir en permanence où et avec qui elles sont, et finissent par en développer une obsession, pour s'assurer qu'elles ne perdront pas cette personne.


La peur de la solitude.


Les personnes émotionnellement dépendantes préféreront souvent vivre une relation toxique plutôt que de vivre une rupture, car elles ne peuvent pas imaginer leur vie sans l'autre. Des sentiments de solitude et d'impuissance apparaissent dès qu'elles sont sans partenaire, qui les conduit très souvent à entrer dans une spirale de tentatives de reconquête de l'ex-partenaire. Lorsque la relation est définitivement rompue, un "syndrome de sevrage émotionnel" peut apparaître, associé à des symptômes anxieux et dépressifs, pouvant conduire à des actes graves.


La rupture avec les amis et la famille.


La personne dépendante a tendance à s'isoler socialement, réduit la fréquence des loisirs avec ses proches, néglige les relations personnelles et des confrontations surviennent souvent: en effet, l'entourage perçoit la souffrance et l'impact psychologique, et leurs recommandations, qui ne sont pas bien reçues, sont source de conflits.


LES CAUSES DE LA DÉPENDANCE AFFECTIVE.


Le développement d'une dépendance émotionnelle est multifactoriel, mêlant d'une part l'histoire relationnelle de la personne, d'autre part le contexte socioculturel occidental. En voici un résumé:


Le cliché de l'amour romantique.


La dépendance émotionnelle est souvent fondée sur des mythes à propos de l'amour romantique, qui dépeignent des échanges d'affection asymétriques et dysfonctionnels: un des 2 partenaires est idéalisé et les attentes de l'autre sont nourries par des croyances irrationnelles. Les idées partagées tournent autour de l'unité totale, de la complémentarité (mythe de la "meilleure moitié"), de la toute-puissance de l'amour, ou encore de la justification de la jalousie.


La surprotection parentale.


Les comportements de surprotection de certains parents constituent une forme d'attachement qui n'offre pas aux enfants la capacité de développer leur autonomie, et au final la construction de leur propre identité. D'autre part, une fois que des schémas ont été générés, ils ont tendance à se maintenir dans le temps et à se généraliser à d'autres types de relations. C'est ainsi qu'une dépendance affective mal gérée vis-à-vis des parents peut devenir le déclencheur d'une relation de couple dysfonctionnelle.


Les difficultés de régulation émotionnelle.


Certains auteurs soulignent le fait qu'il y a eu un net déclin de la gestion émotionnelle des individus dans les pays occidentaux. L'augmentation des problèmes d'anxiété, de dépression, de sentiments d'isolement ou d'insatisfaction, sont les témoins modernes d'un inconfort intense, d'un "je" instable et d'une peur de l'introspection. L'autre est alors perçu comme la seule et unique source de bien-être et d'identité personnelle.


La vulnérabilité cognitive.


En temps normal, les représentations qu'un individu s'est forgé de lui-même et des autres (les fameux "Internal Operating Models") sont élaborées à partir d'expériences affectives répétées avec des figures pertinentes, c'est-à-dire qu'elles sont marquées par le style d'attachement. Ces modèles sont utilisés pour prédire le comportement de l'autre, agir comme un filtre qui influence l'interprétation des interactions personnelles et guider ces interactions consciemment et inconsciemment.

Chez les sujets dépendants au contraire, les schémas cognitifs sont perturbés: la satisfaction de leurs besoins affectifs leur apparaît comme imprévisible, et la nécessité d'éviter l'inconfort devient cruciale, au détriment de tout épanouissement personnel. C'est ce que l'on nomme la "vulnérabilité cognitive".


Les carences dans les soins.


Chez les personnes dépendantes, l'enfance est régulièrement marquée par une forme de négligence de la part des proches, d'apathie ou de simple indolence dans des moments-clés de la construction des rapports à l'autre: c'est ainsi que les réactions naturelles de protection ou de méfiance, cette sorte d'immunisation face aux situations toxiques, ne se façonnent pas de manière adaptée. Ces schémas cognitifs et émotionnels perturbés s'associent à une mauvaise image de soi et à une idéalisation exagérée des situations de vie. Pour combler cette frustration, la personne se met en quête de besoins insatisfaits chez les autres, et n'imagine comme moyen d'éviter la négligence que l'utilisation de stratégies de soumission. Le cercle vicieux toxique est ainsi créé.


LE TRAITEMENT DE LA DÉPENDANCE AFFECTIVE.


Le traitement de la dépendance prend bien sûr en considération le contexte, l’âge, les situations sociale et culturelle et surtout le degré de cette dépendance.

Les trois caractéristiques fondamentales de la personnalité dépendante sur lesquelles le clinicien fondera à la fois son diagnostic, mais également son traitement, sont la faible estime de soi, la crainte ou le refus de la solitude, et la présence fréquente d'un passé sentimental mouvementé.


Le traitement de fond est d'abord et avant tout représenté par la psychothérapie [3][4][5]. Il est bien entendu hors de mon propos ici de faire une description exhaustive de tous les moyens disponibles pour le psychothérapeute, mais pour schématiser, l'approche cognitivo-comportementale est essentiellement axée sur l'affirmation du soi. Différents types de thérapie permettent cette affirmation du soi, comme par exemple les thérapies de soutien, ou encore les psychothérapies analytiques.


Une autre composante essentielle au traitement de la dépendance est représentée par la restauration de l’estime de soi. Elle passe essentiellement par 4 étapes:

- l'apprentissage de la connaissance de soi

- le respect et l'affirmation de ses besoins

- la construction de frontières avec les autres

- l'auto-application de préceptes validés scientifiquement.

Il s'agit d'enseigner aux patients d'apprendre à s'aimer, à apprécier leur corps, et éviter à tout prix de tomber dans un perfectionnisme effréné, dicté par le système, la mode, la télévision ou les réseaux sociaux, en espérant vainement être aimé pour cela.

Le thérapeute cherchera toujours à privilégier les initiatives plutôt que les réussites, et à aider la personne à banaliser ses échecs.


Troisième élément fondamental, le développement de la spiritualité.


Il s'agit d'une pratique qui ne concerne pas que les croyants: même en étant athée, la spiritualité permet de découvrir ce qui procure la paix, la sérénité.

La méditation [6] pour les "non-croyants", de la même façon que la prière chez les autres, comptent parmi les pratiques les plus efficaces: elles permettent de réapprendre à vivre, en renonçant à la peur et au désespoir, en les remplaçant progressivement par des pensées positives.


Intégrer un groupe de soutien est également une excellente initiative.


À l'image des Alcooliques Anonymes, il existe depuis 1976 une association baptisée Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes (DASA) [7].

Il s'agit d'une véritable fraternité dont les membres sont répartis dans de nombreux pays, qui "partagent entre eux leurs expériences, leurs forces, leurs espoirs, dans le but de résoudre leur problème commun de dépendance affective et/ou sexuelle en aidant d’autres dépendants à se rétablir."

A travers l’empathie, l’expérience partagée, l’humour, le groupe apporte un sentiment de sécurité, de bien-être et accélère le processus d’acceptation de soi. Ces groupes encouragent particulièrement le recours à la spiritualité ou à la prière.


Conclusion


La dépendance à l'autre fait partie intégrante de la socialisation. Bien sûr elle varie pour un même individu, de même qu'elle fluctue au cours de la vie.

C'est l’intensité de cette dépendance, en particulier lorsqu'elle entraîne une altération du fonctionnement social ou professionnel, ou bien une souffrance intérieure, qui en fait une pathologie, et qui nécessite alors un diagnostic précis et un traitement adapté.



Françoise Dolto (1908-1988)



Alain SUPPINI

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