QUAND PRÉVENTION RIME AVEC FERMENTATION.
Nous l'avons vu, compte tenu de la relation symbiotique étroite existant entre le microbiote intestinal et l’hôte [1], il n’est pas surprenant d’observer qu'une dysbiose soit à l'origine de nombreux états pathologiques [2]. Restaurer l'équilibre du microbiote parait donc un préalable au traitement de ces maladies, ce qui n'est pas forcément très simple à réaliser. Rien d'étonnant donc à ce que la préservation de cet équilibre chez les personnes en bonne santé soit devenu un objectif majeur de santé publique.
Voyons donc comment préserver cet équilibre si précieux.
1- Un régime pauvre en sucres rapides et polyols
- les sucres rapides rassemblent les glucides à chaîne courte (mono et disaccharides): il s’agit du glucose, du fructose et du saccharose (le sucre blanc) présents dans le miel, les sirops, les jus et concentrés de fruit et sucre de table, mais aussi dans nombre d'aliments transformés en tant qu’additifs. En l'absence de fibres présentes dans les fruits entiers et les légumes, ces sucres rapides perturbent le microbiote et font rapidement augmenter le taux de sucre dans le sang, favorisant ainsi le risque de diabète, d'obésité et de maladies cardiovasculaires.
- les polyols sont les édulcorants sans sucre: ils sont utilisés dans une large gamme de produits, tels que les chewing-gums, les confiseries, les crèmes glacées, la biscuiterie, ou encore les préparations de fruits.
On leur préférera les glucides complexes:
- la cellulose, qui est la fibre constitutive des végétaux: on la retrouve en abondance dans les céréales complètes, la salade, les légumes, les légumineuses et les fruits entiers.
- l'amidon: les principales sources naturelles en sont le maïs, le blé, le riz, les céréales et les pommes de terre.
2- Un régime riche en fibres
Les fibres alimentaires sont des prébiotiques, ce qui signifie que les probiotiques les utilisent comme nourriture: les fibres alimentaires vont naturellement fermenter dans le colon, développant de fait les "bonnes bactéries" au détriment des bactéries pathogènes. Les apports quotidiens recommandés sont de 30 à 45g de fibres par jour, dont une majorité issues des céréales [3].
3- Limiter sa consommation d'alcool
Les personnes ayant une consommation excessive d'alcool présentent un déficit chronique en bonnes bactéries, une inflammation chronique de l'intestin et une modification sévère du microbiote.
4- Limiter la consommation en antibiotiques
Dans une étude de 2020 parue dans le journal Frontiers in Cellular and Infection Microbiology [4], les scientifiques montrent que l'utilisation abusive d'antibiotiques, notamment à large spectre thérapeutique, réduit la diversité des espèces bactériennes, altère leur activité métabolique et favorise la sélection d'espèces bactériennes pathogènes de plus en plus résistantes aux anti-infectieux.
5- La prise de probiotiques
Le sujet n'est pas aussi simple que nombre de sites marchands voudraient nous le faire croire. Il se partage en 3 éléments distincts, les probiotiques naturels, les compléments alimentaires et les probiotiques de nouvelle génération.
- Les probiotiques naturels:
Bien souvent, le premier aliment que l’on conseille de manger en cas de troubles digestifs est le yaourt [5]. En fait, c'est l'ajout de probiotiques au lait qui va induire la richesse que ce produit laitier détiendra ensuite. C'est ce qu'il se produit lorsque l'on privilégie les yaourts fermentés ou au lait cru. En effet, la majorité des laitages industriels ressemblant à des yaourts ne sont pas des yaourts.
Le vrai yaourt doit être à base de lait fermenté par 2 bactéries, Steptococcus thermophilus et Lactobacillus bulgaricus, qui doivent se retrouver vivantes dans produit fini.
Donc tous les produits lactés au bifidus et autres bactéries, de même que les produits ayant subi un traitement thermique pour une plus longue conservation, ne sont pas des yaourts. Ils ont en plus des ingrédients ajoutés, tels que sucre, édulcorants artificiels, ou conservateurs, qui peuvent faire plus de mal que de bien.
La première des recommandations est donc de vérifier que le mot "yaourt" soit écrit en toutes lettres sur l'emballage, ce qui signifie que le produit aura subi certaines étapes de fabrication n'ayant pas détruit les 2 bactéries essentielles.
Les yaourts maison sont de fait une très bonne solution, même si leur conservation sera forcément de plus courte durée. Pour les réaliser, on utilise soit du lait cru entier, soit du lait frais entier pasteurisé non homogénéisé acheté au rayon frais. Donc, pas de lait UHT (qui est stérilisé, homogénéisé, écrémé, puis reconstitué), ni de lait sans lactose (puisque les 2 bactéries ont précisément besoin de lactose)
Même si le lait de départ contient du lactose, il est tout à fait possible d'obtenir un yaourt fini sans lactose [6]: pour cela les bactéries doivent avoir le temps de transformer le lactose en acide lactique, ce qui implique 2 règles de fermentation:
- une température décroissante (sinon le yaourt se sépare en lait caillé + petit-lait)
- sur une durée minimale de 19h, temps nécessaire à ce que la production d'acide lactique soit terminée et qu'il n'y ait donc plus de lactose dans le produit
Certains fromages peuvent être de bons alliés pour retrouver une santé intestinale. Même si la plupart des fromages sont fermentés, certaines bactéries bénéfiques ne survivent pas au vieillissement des fromages. On trouve par exemple de bonnes bactéries dans le cheddar, le gouda, le cottage, la mozzarella et le fromage blanc, mais également dans les fromages à pâte persillée et à croûte comme le Roquefort, le bleu, la Fourme d'Ambert, le brie et le camembert.
Sur la même base que le yaourt maison, il est également possible de fabriquer du fromage maison, avec ou sans lactose. Le petit-lait récupéré lors de la transformation pourra lui aussi être utilisé dans un certain nombre de boissons aromatisées riches en probiotiques.
Les boissons fermentées:
1- Le Kéfir
Il s'agit d'une boisson fermentée obtenue à partir de grains de Kéfir, qui sont une sorte de levain constitués essentiellement de bactéries lactiques et de levures.
On en distingue 2 types:
- le Kéfir de lait, traditionnellement préparé à partir du lait de vache, mais pouvant également être fabriqué à partir de lait de chèvre, de brebis, ou même de soja.
- le Kéfir de fruit, facilement obtenu par fermentation de grains de Kéfir dans une eau sucrée, puis aromatisée secondairement par des épices, des fruits, des légumes, ou encore des sirops.
Le Kéfir serait originaire du Caucase où on en boit traditionnellement depuis l'antiquité, et son histoire est particulièrement bien décrite dès 1886 par Maksymilian Heilpern dans ses Actualité Pharmaceutiques [7].
2- Le Kombucha
Il s'agit également d'une boisson fermentée obtenue à partir d'un symbiote de bactéries et de levures, le SCOBY (acronyme anglais de Culture Symbiotique de Bactéries et de Levures), plus couramment appelé "mère de Kombucha". On plonge cette mère dans une solution de thé et de sucre, qu'on laisse ensuite fermenter plusieurs jours. Comme pour le Kéfir, le Kombucha peut ensuite être bu tel quel, ou agrémenté par les mêmes ingrédients.
Les origines du Kombucha sont plus incertaines, il pourrait être millénaire, mais les 1ers écrits le concernant ne datent véritablement que de de la fin du XIXè siècle [8].
Les dérivés du soja
Très appréciés par les végétariens et les végans, ils représentent une source très intéressante de protéines végétales, mais également de probiotiques.
1- Le Tempeh
Il s'agit d'un aliment originaire d'Indonésie, pouvant être préparé bien sûr avec des fèves de soja, mais également à partir de nombreuses légumineuses, céréales ou même graines.
La fermentation est réalisée grâce à des moisissures communes, les rhizopus, qui s'activent pour former un mycélium (filaments blancs) qui va souder les fèves entre elles pour les transformer en un bloc compact ayant une odeur de croûte de camembert.
Le processus de fermentation, en abaissant le taux d'acide phytique contenue dans le soja, va améliorer l'absorption des sels minéraux. En outre, le Tempeh est une excellente source de vitamine B12, que l'on trouve plus habituellement dans aliments d'origine animale.
2- Le Miso
Produit incontournable de la cuisine japonaise, le Miso est une pâte issue de la fermentation d'un mélange de soja et d'une céréale (en pratique du riz ou de l'orge). Cette pâte pourra être employée comme assaisonnement ou comme condiment dans de nombreuses préparations culinaires. Il s'agit là d'une des meilleures sources de probiotiques naturels.
3- Le Tamari-shoyu est, quant à lui, une sauce de soja préparée de manière traditionnelle, "à la chinoise", avec une fermentation longue de 4 à 6 mois. Également source de probiotiques naturels, il doit être utilisé avec modération car il est riche en sel.
Les légumes fermentés
Nous l'avons compris, la fermentation joue un rôle primordial dans la présence naturelle de probiotiques dans l'alimentation. Ainsi, les légumes marinés dans la saumure de vinaigre vont être particulièrement bénéfiques à la flore intestinale. C'est notamment le cas des cornichons, des olives, mais également du choux fermenté présent dans la choucroute ou encore du Kimchi, qui est un plat coréen à base de choux, de piment, d'ail, d'échalote et de gingembre.
Enfin , parmi les autres sources de probiotiques naturels, on peut citer la levure de bière, ou encore le vinaigre de cidre non pasteurisé.
- Les compléments alimentaires
Il existe une pléthore d'études pseudo-scientifiques visant à démontrer que les compléments alimentaires ont un impact positif sur le microbiote. En réalité, la majorité de ces études se sont concentrées sur des populations présentant des pathologies spécifiques. C'est la raison pour laquelle, une grande étude publiée en 2019 dans European Journal of Clinical Nutrition [9] a examiné tous les articles de littérature pertinente publiés de 1990 à 2017, sur les effets de la consommation de compléments chez des "adultes en bonne santé". De fait, cette grande revue n'a pas réussi à confirmer la capacité des compléments probiotiques à améliorer de manière persistante le microbiote intestinal, ni le profil lipidique des adultes en bonne santé.
En clair, il n'existe à ce jour aucune preuve scientifique de l’intérêt de la prise alimentaire de compléments probiotiques.
- Une voie de recherche semble prometteuse, il s'agit de celle des probiotiques de nouvelle génération (NGP):
Elle repose sur la constatation que de faibles niveaux de Faecalibacterium dans l'intestin sont fortement corrélés à des conditions inflammatoires que l'on retrouve en particulier dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) [10]. Au regard de ces données, les études soutiennent fortement l'utilisation de Faecalibacterium comme NGP ou produit biothérapeutique (LBP), en association avec des prébiotiques [11].
"Manger est humain, digérer est divin."
Charles Townsend Copeland
Alain SUPPINI
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